Journée de l’évaluation : Compte rendu de l’atelier 1

Riposte Éducation

Journée de réflexion sur l’évaluation : 29 mars 2025

Atelier 1 : Gouvernance et métier enseignant

Animation : Stéphane Germain et Richard Étienne

Résumé : passer  d’un management vertical, numérisé, déshumanisé, dé-professionnalisant  « de contrôle et gestion » à un fonctionnement collaboratif  et responsable des différents acteurs du système

Texte du chantier F, structurant pour le débat : tous les acteurs en France, sont considérés comme des exécutants .

4 questions à partir de ce texte :

  • -> rôle de l’établissement
  • -> rôle du MEN
  • -> collectif enseignant et pédagogie -> enseignants et gouvernance démocratique
  • -> enseignants et gouvernance démocratique

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L’atelier a débuté par la lecture individuelle du résumé de trois pages des travaux du chantier F de notre collectif

(« Pour une gouvernance démocratique de l’Éducation nationale ») reproduit en annexe.

Les sept participant·es ont émis un accord pour essayer de cerner cette notion de « gouvernance » qui est apparue comme très ancienne et récente à la fois. La discussion n’a pas permis de trancher entre diverses définitions qui recouvrent de nombreux modèles : c’est un art ou une façon de gouverner ou d’agir, cela implique de nombreux acteurs et nous avons constaté une certaine « mouvance » dans les définitions du terme. Cela explique en partie le succès du mot que des acteurs peuvent reprendre à leur compte, dans l’institution ou « sur le terrain ».

Pourtant des tensions existent :

Verticalité vs Horizontalité

Individualisation vs Collectif(s)             

Contrôle vs Prescription

  • Au niveau de la profession, ces tensions se font sentir dans la culture avec toutes les ambiguïtés qui caractérisent la représentation du temps de l’enseignant (la classe, les temps collectifs et parascolaires) mais aussi son identité (seul maître dans la classe disposant d’une « liberté pédagogique » individuelle reconnue et limitée par la loi de 2005 ou « praticien réflexif » dans une « organisation apprenante »).
  • Cette question de « liberté pédagogique » a donné lieu elle aussi à des échanges, selon qu’elle était interprétée comme un barrage protégeant l’individu (« je fais ce que je veux dans ma classe ») ou envisagée sur un plan plus général et collectif (« tout ne peut pas être imposé du haut et l’école ou l’établissement est le niveau correct pour enseigner en fonction de la capacité d’apprendre des élèves »). La conception et la conduite de projets collectifs retrouve des marges de manœuvre dans ce cas.
  • La notion trop rigide de « programme » a été critiquée au profit de celles plus souples de projet et de démarches curriculaires (qui étaient présentes dans la réforme des collèges de 2016-208 écartée par J.-M. Blanquer dès son arrivée au MEN).
  • Nous sommes tombés d’accord sur la nécessité de renforcer les liens entre la recherche universitaire et la formation pour permettre de développer une gouvernance démocratique dans l’Éducation nationale.
  • Enfin, le développement du pouvoir d’agir (empowerment) individuel et collectif est apparu comme un élément clé de cette gouvernance, sinon comme l’élément-clé.

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ANNEXE

Atelier 1 : Gouvernance et métier enseignant

Résumé du texte produit par le chantier F distribué en début de séance

Passer d’un management vertical, numérisé, déshumanisé, dé-professionnalisant, de « contrôle de gestion » à un fonctionnement collaboratif et responsable des différents acteurs du système

Brève analyse de la situation

Contrairement à la plupart des systèmes éducatifs étrangers qui ont opéré des réformes de gouvernance, l’éducation nationale française repose sur un fonctionnement qui reste majoritairement vertical descendant. L’hypercentralisation de la décision éducative conduit à un modèle prescriptif qui n’interroge pas la pertinence de l’activité éducative au regard des contextes locaux. Les enquêtes à grande échelle conduites par les organismes internationaux montrent que le système éducatif français est peu « performant » dans sa capacité à répondre aux enjeux éducatifs du 21ème siècle. Notamment, il ne parvient à réduire les inégalités. Les prescriptions des autorités centrales, standardisées et uniformes, n’apportent pas les réponses à des problèmes complexes par nature.  

Avec cette logique descendante, les acteurs de l’éducation sont envisagés comme de simples exécutants des décisions centrales. Cela reflète un manque de considération pour les enseignants qui sont infantilisés, déresponsabilisés et délégitimés dans leur capacité à construire, par eux-mêmes, les réponses éducatives. Beaucoup d’entre eux s’interrogent sur le sens de leur métier.

Ne pas faire confiance aux enseignants, les enfermer dans un fonctionnement normatif qui bride leur créativité et qui renforce l’individualisme pédagogique est lourd de conséquences. Alors que les autres systèmes éducatifs favorisent les initiatives pédagogiques en donnant le pouvoir d’agir aux enseignants, l’éducation nationale française n’encourage pas et ne valorise pas la créativité des enseignants. Elle se prive ainsi d’une richesse qui est le principal vecteur de l’amélioration d’un système éducatif.

Les nombreuses réformes, qui se succèdent à un rythme effréné, sont décidées sans prendre en compte les apports de la recherche ou les recommandations des organismes internationaux. Ce sont des réformes de surface au sens où elles ne parviennent pas à faire évoluer la norme professionnelle et les pratiques pédagogiques qui en découlent. Cette approche mécaniste, qui considère que ce qui est décidé est nécessairement appliqué, ne parvient pas à prendre en compte le facteur humain, pourtant prégnant en éducation.

La normalisation excessive, adossée à une prolifération d’outils de mesure de l’activité éducative, conduit le système éducatif français à s’approcher dangereusement du modèle de la bureaucratie autoritaire déjà existant dans certains pays qui ont basculé vers une forme de démocratie illibérale. L’excès de normes génère une standardisation des pratiques qui éloignent des valeurs et des principes sur lesquels repose le service public et autorise toutes les dérives dès lors que les décideurs publics sont mal intentionnés.

Il apparait donc urgent de procéder à une refonte de la gouvernance en s’appuyant sur les résultats de la recherche et sur les recommandations des organismes internationaux. Cette refonte permettrait de faire face à deux défis majeurs : celui de la plus grande performance du service public – entendue comme sa capacité à apporter des réponses pertinentes aux besoins éducatifs – et celui de la mise à l’abri des dérives autoritaires visant à instrumentaliser l’éducation. Concrètement, l’évolution de la gouvernance reposerait sur deux dimensions : celle qui vise à donner du pouvoir d’agir aux acteurs de terrain (caractère horizontal) et celle qui vise à associer les parties prenantes par le biais d’organes de décision représentatifs (caractère démocratique).

Principes unificateurs de refonte de la gouvernance

Pour le groupe de travail du chantier sur la gouvernance, la refonte doit reposer sur des principes unificateurs sur lesquels il n’est pas possible de transiger.

Tout d’abord, il paraît important de relégitimer les enseignants comme experts et ingénieurs pédagogiques. Cette re-légitimation passerait par la reconnaissance de la liberté pédagogique, entendue comme le libre choix, par les enseignants, des supports et des méthodes pédagogiques. Toute entrave à la liberté pédagogique porte les risques d’instrumentalisation de l’éducation et de moindre pertinence de l’activité pédagogique.

Par ailleurs, il semble nécessaire d’obtenir une définition claire des attendus nationaux, entendus comme l’ensemble des compétences que les élèves doivent acquérir par l’éducation aux différents niveaux de scolarité. Pour éviter de faire et de défaire la construction pédagogique, il paraît important que ces attendus pédagogiques deviennent applicables sur le temps long. Dans le respect du principe de la liberté pédagogique, il serait souhaitable que ces attendus nationaux ne contiennent aucun élément de pédagogie. C’est le principe de la dissociation entre les attendus et les méthodes. Il s’agit de dissocier les attendus nationaux, qui prescrivent de façon uniforme les objectifs en termes d’apprentissage, des méthodes et approches pédagogiques qui permettent de les atteindre. La dissociation marquerait la sortie du modèle prescriptif par la confiance accordée aux enseignants.

En matière de répartition des prérogatives, il ne s’avère pas utile d’opérer une décentralisation supplémentaire vers les collectivités territoriales (régions, départements communes). L’équilibre actuel semble satisfaisant et beaucoup de pays ont vécu des expériences malencontreuses de transfert de compétences pédagogiques vers les collectivités. A contrario, pour gagner en pertinence, une déconcentration de la décision éducative vers les écoles et les établissements scolaires devient urgente. En s’appuyant sur les recommandations des organismes internationaux (UNESCO, OCDE, Parlement européen) ainsi que sur les résultats de la recherche, il conviendrait d’accorder une grande autonomie pédagogique aux établissements scolaires. Cette autonomie supposerait de donner une réelle marge de manœuvre curriculaire afin que les écoles et établissements scolaires puissent construire des réponses éducatives adaptées aux contextes locaux. Il convient de préciser que cette plus grande capacité de décision est accordée aux collectifs de travail qui alimentent la créativité pédagogique en établissement scolaire et non aux chefs d’établissement. Pour cela, la reconnaissance institutionnelle du temps de concertation pédagogique semble incontournable.

La plus grande autonomie pédagogique des écoles et des établissements scolaires (collèges et lycées) conduirait à les positionner comme les acteurs éducatifs centraux sur leur territoire. La sectorisation scolaire stricte ne doit pas être remise en cause. Maintenir un service public égalitaire suppose de refuser toutes les tentatives de libéralisation de carte scolaire. Il semble cependant opportun de s’interroger sur une possible redéfinition des cartes scolaires afin d’aboutir à davantage de mixité sociale dans les établissements.

La plus grande autonomie pédagogique accordées aux établissements scolaires amènerait à revoir les missions de direction. Celles-ci tendraient vers l’animation des collectifs de travail selon une posture de facilitation. Le temps nécessaire à l’animation pédagogique supposerait une résorption de la surcharge administrative, qui s’opère en partie d’elle-même lorsque la gouvernance ne repose plus sur une normalisation excessive. Les directeurs d’écoles, comme les personnels de direction du secondaire, ne sont pas dans la revendication de tâches de gestion administration et financière. Il ne paraît pas opportun que ces tâches, qui en l’état actuel du fonctionnement administratif incombent aux services départementaux, reviennent aux écoles et établissements.

Enfin, l’évolution de la gouvernance supposerait de faire évoluer le métier d’inspecteur vers davantage d’accompagnement et de conseils.   

Questions clés

Plusieurs questions clés émergent du diagnostic posé. Ces questions permettent d’engager le débat sur la refonte de la gouvernance.

  • Comment mettre en place une gouvernance démocratique de l’éducation ?
  • Quel degré et quelles modalités de déconcentration de la décision éducative (comment arbitrer dans la répartition des rôles entre les niveaux ministériel, académique et local pour construire des réponses éducatives plus adaptées sans remettre en cause l’équité du service public) ?
  • Comment construire une stratégie éducative sur le temps long ?
  • Comment favoriser une culture professionnelle qui renforce le pouvoir d’agir des enseignants au service de la réussite des élèves ?
  • Quels rôles pour les cadres du système éducatif (inspectrices-eurs et directrices-eurs) ?
  • Quelles instances de concertation pour construire des réponses reposant sur des diagnostics partagés ?

Pistes de réflexion pour la Table ronde sur la gouvernance

Des questions clés découlent des pistes de réflexion pour cette table ronde

  • Quelle organisation fonctionnelle du ministère et des rectorats au 21ème siècle ?
  • Comment sortir de la logique de gouvernance descendante ?
  • Comment (ré)intégrer les apports de la recherche universitaire pour orienter le changement éducatif ? 
  • Quelle place pour les réseaux éducatifs dans la diffusion de l’innovation pédagogique ?
  • Quelle autonomie pédagogique pour les écoles et les établissements scolaires ?
  • Comment renforcer les collectifs de travail ?
  • Comment responsabiliser les acteurs de l’éducation disposant d’une plus grande autonomie pédagogique ?
  • Comment accompagner et évaluer l’action éducative des personnels, des équipes et des structures (inspection individuelle versus évaluation globale, autoévaluation versus regard externe) ?
  • Quelle place pour le numérique dans la mesure des acquis scolaires (outils de pilotage du système éducatif versus outils de certification des acquis) ?

Quelques recommandations et comparaisons internationales

Repenser nos futurs ensemble : un nouveau contrat social pour l’éducation (UNESCO)

Déclaration d’Inchéon

https://uis.unesco.org/sites/default/files/documents/education-2030-incheon-framework-for-action-implementation-of-sdg4-2016-fr.pdf

L’équité dans l’enseignement scolaire en Europe : structures, politiques et performances des élèves (Eurydice – Commission européenne)

https://eurydice.eacea.ec.europa.eu/publications/equity-school-education-europe

Résumé en français

https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/517ee2ef-4404-11eb-b59f-01aa75ed71a1/language-fr

Les 7 principes de bonne gouvernance de l’éducation en Europe

European Ideas for better learning: The governance of school education system

Produced by the ET 2020 Working Group School

Améliorer la direction des établissements scolaires OCDE Volumes 1 et 2

Rapport IGEN 2017-080 de décembre 2017 sur l’évaluation des établissements

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