Synthèse de la réflexion des 6 chantiers de La Riposte Education
On trouvera ici un résumé de la réflexion de plusieurs groupes de travail mis en place en 2024 par le collectif « Riposte Education » auxquels ont participé les principaux syndicats et les associations de l’éducation. Un document plus complet des 6 chantiers est accessible sur le site de « Riposte éducation ». Voir ci-dessous, en fin d’article.
Pour une école plus juste, qui réponde aux attentes des élèves et des familles comme aux besoins de la société.
La ségrégation socio-scolaire française est parmi les plus fortes en Europe. Elle est aussi très tributaire des ségrégations spatiales ; elle produit de la violence et du ressentiment. Il est temps de la faire disparaître.
Nous avons dénoncé la complexité cachée des processus ségrégatifs et leurs conséquences fâcheuses et multiples pour les élèves et le pays. Pourtant des solutions alternatives existent, elles ont été parfois menées avec succès dans notre pays, notamment au plan des cartes scolaires, mais les mécanismes de l’orientation imposée, les découpages et hiérarchies disciplinaires, les pratiques culturelles de l’école, les programmes, les rythmes d’apprentissage restent dominés par le modèle du bon élève issu de milieux favorisés.
La prolifération des évaluations, la hiérarchie des filières et des spécialités, les formes de l’orientation participent à un tri social caché par l’apparence d’une prolongation généralisée des études et un élargissement de l’accès au baccalauréat ; mais le déplacement du curseur vers le haut se paye par un système opaque d’affectation dans le supérieur de plus en plus investi par les écoles supérieures privées très onéreuses, et maintenant par un durcissement récemment annoncé de l’obtention du baccalauréat qui va rendre plus sélectif encore l’accès aux études et formations supérieures.
Les cartes scolaires souvent ségrégatives, la hiérarchisation des savoirs provoquent perte de sens, de repères, et d’intérêt pour les élèves des milieux défavorisés ; les savoirs techniques, les cultures populaires, les disciplines artistiques et bien d’autres savoirs sont marginalisés ; les façons d’apprendre restent rigides et peu favorables aux apprentissages du travail collectif.
La conjugaison aggravante et souvent fatale de tous ces facteurs dans des lieux peu accueillants, avec des enseignants insuffisamment formés, peu remplacés, mal payés, témoins impuissants de l’abondance de vacataires et contractuels, exploités et volatiles, creuse rapidement les écarts entre les enfants de milieu populaire et les autres.
Pour une école du XXI° siècle ouverte sur le monde et la vie, attentive à la formation de la personne et à sa socialisation
Les bouleversements du monde, la prise en considération de la diversité et de la circulation des cultures, le brassage des peuples, la multiplication des conflits, les conséquences dramatiques du réchauffement de la planète, l’affaiblissement de toutes les régulations et la montée des théories fascisantes qui utilisent à outrance les réseaux sociaux, autant de raisons de mettre l’école au niveau de si lourds enjeux de société.
L’apprentissage des valeurs morales et civiques, de la rigueur intellectuelle et de l’esprit critique, acquiert une importance plus grande que jamais.Des curricula audacieux s’imposent pour notre temps car ils devront être à la hauteur de l’évolution rapide des questions nouvelles posées à nos sociétés : des savoirs scientifiques, techniques, sociétaux, ethnologiques, écologiques, culturels ; autant de défis difficiles à relever en raison de la circulation peu contrôlée de l’information, de l’usage de l’intelligence artificielle dont l’utilisation, inévitable, doit être fortement régulée et réfléchie au sein du système éducatif.
Une école de la formation de la personne et de l’apprentissage du vivre ensemble.
Les derniers ministres voudraient réduire les besoins de formation et d’éducation à la nomenclature de quelques « compétences psychosociales » strictement individuelles telles que les employeurs les imaginent. Ce choix, matérialisé dans le dernier projet de socle commun introduit des confusions entre ce qui relève de valeurs morales et le formatage de comportements individuels, qualifiés de « compétences ». Nous n’en ferons pas pour autant un prétexte pour ignorer les besoins éducatifs, qui ne peuvent relever que d’une co-éducation école et famille. La montée des violences à l’école, témoignant de la difficulté à intégrer des élèves psychologiquement ou physiquement très fragiles dans les conditions actuelles de l’inclusion devrait constituer une priorité urgente et absolue.
Aller vers des curricula qui conjuguent didactique et pédagogie, qui ouvrent à la diversité des modes de « l’apprendre », des formes de questionnement, de la diversité des langages, des approches pratiques, expérientielles, articulant constamment l’apprentissage des savoirs, la connaissance de soi et l’ouverture aux autres. La vie de la classe comme groupe apprenant, la capacité des professeurs à placer les élèves devant des problèmes à résoudre, des projets à élaborer et à mener et des défis à relever en s’appuyant sur le travail collectif en groupes, à exploiter les erreurs comme passage incontournable du chemin de l’apprendre, le développement des écrits intermédiaires et des réalisations multiples, l’introduction systématique de moments de réflexivité, tracent le schéma de l’acquisition des compétences nécessaires à tous les niveaux du cursus de formation.
Des curricula réfléchis par toute la société
Le choix de ce qu’il faut enseigner ne peut plus être de la seule responsabilité d’un ministre et de ceux qui l’entourent. C’est une affaire qui concerne toute la société, dans une temporalité qui est celle d’une scolarité complète. Les débats devraient associer préalablement les professionnels de toutes les catégories, les chercheurs en sciences de l’éducation, les spécialistes des savoirs, les formateurs mais aussi les parents, les élèves, les mondes de la recherche, des arts, de la science, des entreprises et les forces politiques et sociales de notre pays.
Les contenus et leur répartition tout au long de la scolarité doivent être revisités à l’aune des enjeux posés par les bouleversements du monde et de la nécessité que les savoirs soient acquis par toutes et tous. Les équipes pédagogiques doivent pouvoir reprendre la main sur leurs métiers. Il faut donc rompre avec les injonctions qui imposent le rythme, les méthodes, de façon tatillonne comme on le constate aujourd’hui. Le « socle commun de culture » devrait être un cadre des programmes disciplinaires et non pas un programme à côté des programmes.
Des acteurs reconnus, respectés, formés, correctement rémunérés.
Face à la crise actuelle des recrutements, la multiplication des abandons et les projets insensés de formation des enseignants, il y a urgence à redonner de l’air, de l’attractivité, de l’envie aux futures générations d’enseignants.
Loin d’une vision prescriptive de « bonnes pratiques » inculquées aux enseignants, nous défendons une approche émancipatrice au service d’un développement professionnel passant par l’appropriation d’outils d’analyse et de transformation de leur propre pratique et de celle de leurs élèves, en lien avec les savoirs visés. Il s’agit de penser avant tout l’émancipation des élèves loin de tout formatage.
Les évaluations nationales des élèves qui se sont multipliées ont un double effet d’appauvrissement des contenus enseignés (et des pratiques évaluatives) d’une part, de contrainte sur le métier, d’autre part, jusqu’à une forme progressive de protocolisation du travail enseignant (enseigner pour tester).
Des métiers, carrières, collaborations, statuts, redéfinis, négociés avec les représentants des intéressés.
Les missions, les statuts, le temps de travail personnel et collaboratif, les temps de formation, doivent être définis, la reconnaissance des formations, les missions spécifiques clairement intégrées et prises en compte dans les carrières. Il faut revenir à une participation démocratique des syndicats dans les nominations, les évolutions de carrière, les obligations de service dont les règles doivent être renégociées. Le rôle de l’Inspection doit être redéfini.
Les conditions matérielles de travail devraient être repensées (espaces, équipements, temps de travail collectif etc.)
La formation initiale menacée : stop aux changements permanents qui déstructurent le système, désespèrent ses acteurs. Il faut redéfinir ce qu’on appelle la formation initiale : objectifs, contenus, modes de mise en œuvre. Une formation « initiale » longue, audacieuse, large au plan scientifique, prenant appui notamment sur les apports des sciences de la cognition et de l’éducation et sur une connaissance de l’histoire de l’éducation et du système public. Une culture large en congruence avec les parcours des élèves ; les principes éducatifs, éthiques que les personnels devront mettre en œuvre ; la nécessaire horizontalité des décisions et la limitation des décisions descendantes accompagnée d’ une reconsidération du rôle des personnels de direction tourné vers la facilitation et la coordination.
Une culture pratique et professionnelle reposant sur le principe de l’alternance avec des stages mieux définis dans leurs objectifs et étapes, des professionnels responsables, réflexifs, engagés, créatifs, capables d’ajustements aux publics, aux nécessaires choix didactiques. Il s’agit de réussir en formation, de rendre les stagiaires désireux de continuer, de se questionner, de réfléchir ensemble, non d’être dans des postures d’obéissance aux ordres, d’imitation, en aveugle d’un protocole pédagogique imposé ou rencontré sur internet, ou standardisé par les corps d’inspection. Si l’on veut émanciper les élèves, il faut émanciper aussi ceux qui les forment.
L’université, si elle s’en donne et si on lui en donne les moyens est le lieu de la formation initiale et continue des maîtres : la collaboration d’équipes de formateurs, aux statuts stables, recrutés sur la base de diplômes niveau Master, permet une réflexion permanente entre recherche terrain et formation. Elle est aussi le lieu du développement professionnel et de la formation continue en coopération avec les établissements scolaires.
Pour une gouvernance démocratique, participative, collaborative
Il conviendrait de penser, reprendre ou ré-imaginer des principes démocratiques pour gérer la décision et l’administration à tous les niveaux, rouages, instances du système éducatif (du ministère, à l’élève) ; il faudrait mieux prendre en compte la parole des villes, des petites communes, des instances économiques, culturelles qui contribuent et financent.
Ne faudrait-il pas redonner du pouvoir de décision aux élèves, aux familles, aux acteurs du système, à leurs représentants syndicaux, associatifs, aux élus ? L’éducation est une institution publique sophistiquée, puissante, la plus importante, et décisive pour l’avenir du pays. Or les derniers ministres la désossent, la font dérailler pas à pas.
Revivifier et mettre en œuvre de nouveaux espaces démocratiques en commençant par les écoles et les établissements. Il est urgent de construire une vraie démocratie locale reconnaissant les actrices et acteurs de terrain Il est urgent de construire une vraie démocratie locale reconnaissant la responsabilité et la part d’autonomie des établissements ; ce qui suppose de revoir leur gouvernance en faisant en sorte que les directeurs et les chefs d’établissements ne soient plus en même temps les représentants du ministre et de la hiérarchie et les animateurs pédagogiques ; en faisant présider le conseil pédagogique par des enseignants élus ; en accordant une vraie place aux familles et aux élèves en leur donnant réellement la parole et les moyens d’action.
Ne pourrait-on trouver un équilibreentre autonomie, créativité, ajustements aux contextes et contraintes curriculaires nationales de telle sorte que la communauté éducative d’un établissement ou d’un espace éducatif se sente partie prenante et responsable ? Sont concernés entre autre : les finances, les emplois du temps, les choix des dispositifs et des projets spécifiques, des formes d’évaluation adaptées aux contextes et besoins de l’établissement, les modes de dialogue avec les familles, les responsabilités déléguées aux élèves, la lutte contre les violences etc.
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Notre objectif est bien de construire avec les personnels de l’éducation, avec les parents, avec les élèves et les étudiants, avec toutes les forces vives de notre pays, une école nouvelle éliminant toute forme de ségrégation, développant l’éducation par l’acquisition de savoirs constitutifs de ressources utiles tout au long de la vie, mais aussi de valeurs éthiques et citoyennes dans la vie personnelle et collective des nouvelles générations.
Ce ne peut être la prérogative des seuls ministres ; c’est bien l’affaire de toute la nation : former des personnes instruites, capables de penser et de prendre des décisions justes et généreuses pour toutes et tous, pour tous les moments et tous les contextes d’une existence humaine. Ce qui se résume en un projet démocratique donc émancipateur mené d’abord dans un cadre si possible familial puis scolaire avant de se concrétiser par l’autonomie de chaque personne dans une société ouverte et généreuse.
Engagez-vous avec nous dans le travail que nous avons amorcé et qui devrait parvenir à ce « Grenelle alternatif » auquel vous pourrez participer.